Auteur : Anne Noé – TSTA Psychothérapie

 

S’il y a une expérience qui laisse des traces dans nos souvenirs émotionnels, c’est bien celle concernant la séparation. On peut chercher à la minimiser, voire à la méconnaître mais, un jour ou l’autre, elle se rappelle à nos bons souvenirs. Nos patients mettent en évidence la répétition de la difficulté à se séparer, et les impacts qu’elle engendre dans les attachements qui sont les leurs.

Les séparations jalonnent l’histoire de notre vie en la structurant, à la condition qu’une élaboration suffisante ait facilité l’accès au renoncement.

Toute séparation signe une expérience psychique qui oblige à renoncer à quelque chose, qui a existé et qui n’est plus. Chacun est confronté au cours de son existence à la perte et au deuil qui vient mobiliser en soi des défenses plus ou moins archaïques réveillant l’angoisse intimement liée à ce qui sépare, à ce qui n’est plus. Les effets régressifs attenants à la séparation sont inévitables.

La petite enfance est le berceau de ces pertes progressives, douloureuses car encore peu porteuses de sens pour le tout petit. Comment faire comprendre à cet enfant qu’il a à gagner à aller se coucher seul ? La crainte de perdre l’objet aimé est au centre de son existence, ou elle voisine avec celle de la toute-puissance. Pour élaborer ces pertes afin de les transformer petit à petit en sécurité intérieure, il va devoir s’appuyer sur des bases narcissiques encore fragiles, aidé en cela par un environnement stable. Cependant, l’enfant va user de mille stratagèmes pour séduire l’adulte afin que celui-ci infléchisse sa démarche. Le doute assaillira parfois ce dernier, quand les sanglots du petit feront place à sa colère. Se laisser savoir que l’expérience de l’oscillation, présence/absence, séparation/retrouvailles, est une étape fondatrice qui va construire le sentiment de sécurité fondamental, peut aider l’adulte à y parvenir plus sereinement.

Quand l’adolescence adviendra, les mêmes questions reviendront elles aussi. Pourquoi faut-il tenir bon, sur l’horaire fixé pour le retour des premières fêtes entre copains ? Au nom de quoi, doit-on se séparer de ce groupe où l’on se sent si bien ? Vraie question casse-tête pour les parents.

Ces séparations ont pris place dans la construction de l’identité et les systèmes des états du moi, dans une perspective interactive, ont contribué mutuellement à interagir sur un mode coordonné face aux expériences de perte. Si des séparations demeurent douloureuses c’est que la « capacité à se séparer » a failli. Quelque chose a donc été endommagé ou détruit par une succession de réponses inappropriées, voire abusives. Ces manquements engendrent des difficultés majeures pour accéder à une confiance stable dans la relation à l’autre et à soi même.

Certains patients sont confrontés aujourd’hui à un chaos émotionnel quand une rupture fait effraction dans leur vie. Une sorte d’urgence de présence de l’autre advient. Ils revivent une soif de dépendance, et ne s’y reconnaissent pas. Une forme de panique s’empare d’eux, et les voici convoqués sur le terrain de l’absence, du manque, voire de l’anéantissement du sentiment d’exister. Il n’y a pas que le couple qui traverse de telles régressions, nombre de relations fortes peuvent y être confrontées. Chaque partenaire revit les étapes des séparations de sa propre enfance, et l’angoisse d’abandon refait surface. Ces expériences du passé restent souvent opaques, méconnues même, parfois étrangement peu chargées d’affects tant elles ont été douloureuses.

Rompre n’est pas se séparer, c’est chercher à s’éloigner aussi vite que possible de la source de la souffrance, croyant ainsi la résoudre. Le déni radicalise les comportements. On tente de partir sans se retourner, on cherche à colmater « les trous ». Dans ce besoin d’immédiateté, certains sont tentés de remplacer la            perte par un nouvel attachement fusionnel, ou par la fuite de toute relation impliquante, pour masquer la blessure. La recherche de la symbiose a pour fonction de faire disparaître les effets de discontinuité dans l’attachement. Freud a mis en évidence que la perte de l’amour de l’autre implique toujours une perte de l’amour de soi. C’est cela qui entraîne la dépendance.

La séduction est un grand lieu d’excitation et de fascination dans lequel chacun cherche inconsciemment à se perdre. Il n’est pas toujours facile de garder sa lucidité en présence de l’amante ou l’amant séduisant, du patron charismatique. Pas si facile d’éviter de se laisser absorber dans une sorte de « captation psychique ». C’est un temps au cours duquel le compromis n’a que peu de place. C’est un temps de paradoxes car, lorsqu’il s’estompe, l’autre n’est plus toujours là où on l’attend. Le cœur ne battant plus aussi fort qu’hier, le doute fissure à nouveau la solidité de cet engouement.

Comment en tant que thérapeutes, allons-nous pouvoir nous saisir de ces problématiques touchant à la séparation ? Déjà par un cadre qui offre régularité et constance. Le thérapeute est là à heure fixe. Il part en vacances à intervalles réguliers, ne modifie pas ou peu ses prises de rendez-vous, et ne meurt pas. La continuité de son investissement est sous l’égide de sa vigilance à analyser les mouvements transférentiels et contre-transférentiels. Il connaît de l’intérieur « être là, ne pas être là, et revenir ». Il l’a mis en travail pour lui-même, il en connaît profondément les contours. S’il s’ennuie, il cherchera à y donner du sens, s’il est agacé il l’offre à l’interprétation pour lui-même dans un premier temps, afin de ne pas briser la fragile alliance thérapeutique. Une interprétation précoce risquerait de faire élastique avec d’anciennes séparations brutales, renvoyant le patient à de douloureuses désillusions. Il ne craint pas ses affects ; au contraire il sait qu’ils sont le terreau de sa réflexion. Il est là, le plus souvent silencieusement, mais présent encore plus qu’à travers les mots, dans une disponibilité psychique et émotionnelle qui favorise la constance. Il ne supporte pas, il porte, tel que le suggère Winnicott. Cette permanence, j’ose dire cette patience, ouvre pour le patient une possibilité de sortir du chaos qui est le sien. Il va expérimenter petit à petit une sécurité qui rendra féconde sa conception du lien, acceptant les renoncements qui jusqu’alors entravaient sa façon d’être en relation. Cette étape est essentielle en ce qu’elle démultiplie la réappropriation du désir et régénère la créativité.

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Du désespoir à l’espoir ou Des séparations nécessaires aux attachements féconds

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