Auteur : Stan Madoré – PTSTA Organisation
Qu’est-ce que l’espoir ?
Avant de savoir si l’espoir est un processus scénarique encore faut-il s’entendre sur ce qu’il est. L’espoir est une notion abstraite, conceptuelle. Comment savoir si ce qui est espoir pour l’un l’est aussi pour l’autre ?
A l’instar de Berne, voyageons dans le temps et regardons notre héritage culturel, du côté de la mythologie grecque, là où l’espoir porte un nom : Elpis.
Il était une fois Pandore, femme d’Epiméthée, lui-même frère de Prométhée. Pandore est l’instrument de Zeus, qui, pour se venger de Prométhée, l’envoya dans les bras d’Epiméthée. Devant une telle beauté, il ne put refuser le cadeau. La suite est entrée dans nos métaphores, Pandore ouvrit la boite qui laissa échapper tous les maux de l’humanité, sauf un. Elpis resta au fond. Pas assez rapide ?
Une question se pose, que faisait l’Espoir parmi les maux. L’espoir serait-il lui-même un mal ? Les maux ne sont maux qu’à l’extérieur de la boite et Elpis est restée à l’intérieur, elle attend. L’espoir serait un processus intérieur qui permettrait d’attendre que les maux achèvent leurs œuvres ?
Attendre ou agir ?
Selon Spinoza « il n’y a pas d’espoir sans crainte, ni de crainte sans espoir ». Finalement, sa pensée est proche de la tradition grecque. L’espoir permet de supporter la crainte ou la peur sans jamais l’annihiler. Peur et espoir sont complémentaires, Il y a nécessité de peur pour éprouver l’espoir, dans l’attente d’un évènement favorable à une vie meilleure.
De fait, nous pouvons supposer que s’il n’y a plus de peur, il n’y plus d’espoir ; c’est le credo de Comte-Sponville qui fustige l’espoir et préconise le désespoir. Non pas au sens pathologique, là où l’on se sent désespéré, déprimé mais au sens où l’espoir devient inutile car sans fondement. Les limites du vocabulaire français font que Comte-Sponville a choisi « désespoir » par défaut.
Étant donné que l’espoir est « attente », nous pouvons également supposer que l’action le mettra à distance. Prenons le cas d’une personne récemment accidentée, n’ayant plus l’usage de ses jambes. Va-t-elle attendre une sortie de paralysie spontanée ? Non bien sûr, elle va s’engager dans un programme de rééducation, accompagnée d’un kinésithérapeute. Elle va espérer recouvrer l’usage de ses jambes dans les moments de repos, là où elle aura le temps d’y penser. Dans l’action, ses pensées seront focalisées sur la douleur et la difficulté des exercices. L’action ramène au présent, à l’ « ici et maintenant ». Si malheureusement cette personne reste paralysée, elle abandonnera tout espoir, soit en plongeant dans une attente sans fin, le désespoir pathologique, soit en se mettant en mouvement, en action, vers de nouvelles raisons de vivre. Choisir la vie, dans cet exemple, est bien abandonner ses espoirs.
L’abandon de tout espoir est l’acceptation inconditionnelle de ce qui est, c’est faire sienne la maxime de Nietzsche : « Deviens ce que tu es ».
Passé, présent, futur
Avec quel état du moi espérons-nous. A priori, et sur la base de ce qui est écrit plus haut, nous espérons dans l’Enfant ou le Parent. Nous espérons que ce qui est passé ne soit pas préjudiciable et au contraire, soit efficace pour un futur meilleur : « j’espère que j’ai bien fermé la fenêtre », « j’espère que mon traitement fera son effet ». C’est l’espoir de l’Enfant, confronté à une peur, sans pouvoir agir. Un espoir pour soi. « J’espère que vous serez à l’heure », « j’espère que ton comportement va changer », est un espoir sur l’autre. Là encore, l’espoir est attente, et non résolutoire. Nous ne pouvons changer les autres : nous ne pouvons qu’attendre qu’ils changent eux-mêmes si toutefois ils en ont le désir. A ce stade, que dire de l’espoir : est-ce un sentiment parasite, non résolutoire, qui vient en superposition d’une peur ? Est-ce un comportement passif, plus particulièrement, l’abstention puisque l’espoir est attente ? L’Adulte, à la fois dans l’action et le présent éprouve-t-il de l’espoir ? Probablement pas. L’Adulte fait pour réussir et sait ce qu’il fera s’il échoue. C’est aussi la définition que Berne donne des « Gagnants », ceux dont le scénario est gagnant.
Ceci dit, ne tirons pas de conclusion hâtive : comme l’écrit Roger-Pol Droit, l’espoir nait de l’action. En effet, si j’ai l’espoir de gagner au loto, je dois jouer. Pour avoir l’espoir de guérir je dois me soigner. C’est donc à partir d’une action en cohérence avec le présent, dans l’Adulte, que se développe l’espoir. Quand je joue au loto je sais que mes chances sont infimes et je ne vais pas m’acheter une maison avant de connaitre les résultats du tirage. Raisonnement dans l’Adulte, l’espoir n’empêche pas d’avoir conscience de la réalité, selon Droit.
Espoir et joie, espoir et sens
Pour Charles Pépin, l’espoir nous coupe du présent, de la possibilité de profiter de l’instant et de contacter la joie. La joie inconditionnelle de vivre l’instant, de profiter de l’air respiré, d’un rayon de soleil ou d’une goutte de pluie. Berne évoquera l’Amour inconditionnel, pour changer de scenario. Pour Spinoza l’action est joyeuse et la joie développe la puissance vitale, le conatus, physis chez Berne. Finalement, avec des approches différentes, ces auteurs arrivent à des conclusions similaires. C’est dans le présent que chacun développe de la puissance. Vu sous cet angle, l’espoir ne semble pas en être un facteur.
Victor Frankl, passé par les camps de concentration, compare l’espoir à un phénomène psychiatrique appelé « l’illusion du sursis ». Chacun s’accroche à l’illusion qu’à la dernière minute, il arrivera quelque chose. Ainsi, un détenu était plein d’espoir parce qu’il avait rêvé de sa libération le 30 mars. Il décéda le 31. Frankl a développé la logothérapie, une approche centrée sur le sens des évènements.
En conclusion
L’Orient désigne le lieu où l’âme se lève, Occident, le lieu où elle s’exile et chute. Entre ce qui se lève et ce qui chute, il y a « ce qui arrive », du latin « accidens »[1]. L’espoir est peut-être un mal, mais un mal nécessaire. Il permet de trouver le chemin de la renaissance, dans ce qui arrive, avec plus ou moins de facilité.
Bibliographie
AT
Berne, Eric : Que dites-vous après avoir dit bonjour ?- Ed Tchou
Berne, Eric : De jeux et des hommes – Ed Stock
Berne, Eric : Principes de traitement psychothérapeutique en groupe – Ed AT
Hostie, Raymond : Le compas : nouvel outil de synthèse et d’analyse des soifs – CAAT 1 – Ed AT
Schiff, J & A : Passivité – CAAT 2 – Ed AT
Schiff, J & A : Le cadre de référence – CAAT 2 – Ed AT
Schiff & Mellor : Les méconnaissances – CAAT 2 – Ed AT
Non AT
Comte-Sponville, André : Traité du désespoir et de la béatitude – Ed PUF
Droit, Roger-Pol : L’espoir a-t-il un avenir ? Ed Flammarion
Frankl, Viktor : Découvrir un sens à sa vie – Ed de L’Homme
Graves, Robert : Les mythes grecs – Ed Fayard
Pépin, Charles : La joie – Ed Folio
Spinoza, Baruch : L’éthique – Ed Arvensa
[1] https://www.franceculture.fr/emissions/creation-air/accidens-ce-qui-arrive