Auteur : Catherine Pilet – PTSTA Psychothérapie

 

Les personnes qui franchissent la porte de notre bureau de consultation portent en elles l’espoir d’être rejointes dans une part d’elle-même qui n’a pas de mots pour se dire, une part archaïque où elles pourront vivre avec le thérapeute un lien symbiotique.

C’est l’espoir de trouver un refuge où l’on peut se vivre non séparé de l’autre, semblable, un lieu où il n’y a pas de place pour le rejet, le manque, le conflit. C’est un espoir bien légitime quand il permet de reprendre pied pour affronter les situations critiques que réservent les difficultés de l’existence. Il est truffé d’embûches car il est porteur d’union magique, gommant l’altérité.

S’il est important que le thérapeute puisse faire « peau commune » avec son patient, il est tout aussi important qu’il puisse se différencier. Sans ce double mouvement, l’accès à l’autonomie sera hors de portée.

La symbiose normale a donc sa place dans la relation thérapeutique et s’origine dans une période précoce du développement identitaire que Margaret Mahler a décrite comme la phase symbiotique. En quoi consiste-t-elle ?

  1. Mahler décrit le développement psychique en trois étapes :
  • la phase autistique (0 à 2 mois) correspond à une étape-fondation ;
  • la phase symbiotique (2 à environ 8 mois) correspond à une étape-charpente, elle permet d’établir une sécurité de base et un sentiment d’être ;
  • la phase de séparation-individuation (les 3 premières années de la vie) correspond à une étape-finition. La capacité de séparation se solidifie et les processus d’introjection se stabilisent (intériorisation dans les systèmes Enfant et Parent d’une mère suffisamment présente et ajustée).

Pendant la phase symbiotique, « l’enfant se comporte et fonctionne comme si lui et sa mère formaient un système tout-puissant, une unité-duelle à l’intérieur d’une frontière commune [1]». Ceci permettra au bébé de vivre un bon lien symbiotique dû aux capacités de l’entourage à décrypter les messages moteurs, sensoriels et affectifs émis par lui et mis en sens dans une communication empathique. Fonction symbiotique que reprendra le thérapeute.

Comme le rappelle B. Rubbers[2], la fonction de la symbiose est d’éviter la séparation. Nous garderons toute notre vie des traces de cette symbiose.

L’angoisse de séparation (vers le 8ème mois) signale que l’enfant poursuit son processus d’individuation et prend conscience que sa mère est source de gratification et de soulagement, si bien que son absence le met dans un état d’attente et d’impuissance, avec l’angoisse comme conséquence. Cette étape permet la mise en place de l’altérité, c’est-à-dire de notre capacité à reconnaître l’autre en tant qu’individu séparé, ayant une manière de voir le monde différente de la nôtre.

Je partage l’idée de Jacqueline Godfrind[3] selon laquelle toute relation humaine se construit sur un double registre, celui du lien symbiotique et celui d’un lien prenant en considération l’altérité. Toute notre vie, nous oscillons entre des « états de symbiose » et des « états d’altérité ».

Je comprends notre part symbiotique comme une partie de nous qui aspire à la fusion et à la récupération d’un lien symbiotique jamais abandonné. Ceci pour nous éviter de souffrir de notre dépendance (puisqu’elle est niée), de la séparation et de l’angoisse de perte qu’elle contient. Comment repérer la part symbiotique chez nos patients ? Comment la prendre en considération dans la relation thérapeutique ?

Symbiose et type d’organisation de la personnalité

La part symbiotique est plus silencieuse chez la personnalité névrotique. Cette part archaïque est mieux assumée et vécue comme un point d’ancrage qui permet la relance d’un long processus de détachement de l’autre et d’autonomisation.

« Quand vous n’êtes pas là, c’est comme si vous n’existiez plus ». Chez la personne avec une organisation état-limite, la part symbiotique occupe le devant de la scène et est source de conflit interne : à la fois, la personne est très sensible à la présence, aux réactions du thérapeute et en même temps, elle cherche à le tenir à distance par crainte de perdre son identité. L’acceptation de l’altérité est très compliquée : l’autre a été tellement décevant qu’elle manque d’une confiance de base dans la relation. Dépendre de l’autre, c’est faire face au vide, à la douleur de l’absence, à la solitude. Le thérapeute aura la délicate tâche de comprendre et accompagner la souffrance et la haine liées à l’altérité tout en assumant d’être le garant de cette même altérité.

«Vous êtes juste un prestataire de service, je vous paie pour cela ». La personne avec une organisation narcissique nie la séparation et la différence. Reconnaître l’existence de l’autre et sa dépendance le met en péril. Le thérapeute est réduit à une fonction de service, il sert d’auditoire. Sa patience et son narcissisme sont mis à rude épreuve et l’ennemi le plus redoutable est son désinvestissement qui viendra confirmer, chez le patient, les décisions scénariques les plus enfouies, du type « je ne suis rien ».

Fonction d’altérité du thérapeute

Le thérapeute dispose de plusieurs paramètres pour sensibiliser à la reconnaissance de l’altérité. Il prend en compte les réactions du patient aux discontinuités du cadre (interruption pour vacances, maladie, retard, oubli). Il saisit toutes les occasions de mesurer l’écart qui les sépare : ses interventions qui seront fatalement à côté de la plaque, les silences. Enfin, il respecte l’écart entre son mode de fonctionnement et celui de son patient.

 

[1] Mahler M. (1968). Psychose infantile, Symbiose humaine et Individuation, PAYOT

[2] Rubbers B., La symbiose, une relation de dépendance parmi d’autres ? AAT, vol. 22 n°87

[3] Godfrind J. (2008), Les  deux courants du transfert, PUF

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L’espoir, une attente impossible à satisfaire ?

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