Auteur : Frédéric Back – PTSTA Psychothérapie

« Ainsi la question de l’identité se voit d’emblée mise en scène dans le discours de la reconnaissance… N’est-ce pas dans mon identité authentique que je demande à être reconnu ? Et si, par bonheur, il m’arrive de l’être, ma gratitude ne va-t-elle pas à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont reconnu mon identité en me reconnaissant[1] ? » (Paul Ricœur, 2000)

L’idée de cet atelier m’est venue suite à une séance avec l’une de mes clientes que j’accompagnais depuis à peu près un an. Alice est une jeune adulte, homosexuelle. Elle vit chez ses parents avec lesquels elle est en conflit permanent. Elle consulte parce qu’elle n’arrive pas à stabiliser ses relations amoureuses de façon durable. Elle est fatiguée, dit-elle, de toute cette violence.

Elle me demande de l’aide pour comprendre ce qui lui arrive. Elle souhaite retrouver des relations apaisées. Elle veut savoir si c’est elle qui ne va pas bien ou si ce sont ses partenaires.

Lors de nos entretiens, elle détaille ses relations amoureuses conflictuelles. Cela est d’autant plus difficile que ses parents ont honte de son homosexualité. Il lui semble qu’elle attire la violence de ses compagnes. Leur relation se termine toujours dramatiquement.

Son récit est décousu. Quand je la stimule à relier son histoire aux manifestations décrites, elle me dit ne se souvenir de rien. Elle se perd souvent dans ses pensées, passe d’une pensée à une autre sans cohérence apparente. Elle commence et termine régulièrement ses interventions par « pourquoi ?». Elle décrit sa peur lorsqu’elle se retrouve dans la maison familiale. Elle ne peut dormir que lorsqu’elle a vérifié que toutes les portes sont fermées à clé y compris celle de sa chambre. Malgré cela, ses nuits sont souvent interrompues de cauchemars. Elle démarre presque toujours ses journées le stress et la vigilance à fleur de peau : Que va-t-il va encore m’arriver ?

Dans ces séances, je peux observer ses tentatives désespérées de sortir de ce « chaos » et de trouver un sens pour supporter l’inconfort. Je peux voir que dans un même mouvement, elle est en prise avec sa colère et sa terreur.

La vie d’Alice est en équilibre. La menace est de perdre cet équilibre précaire et de sombrer dans la folie. Vous avez sûrement tous rencontrés Alice dans votre cabinet…

Je commence donc par cette notion d’équilibre. Qu’en dit l’analyse transactionnelle ? J’utilise ici les soifs de Berne comme trame de fond d’un système d’équilibre de la personnalité en lien avec son environnement, sur laquelle j’élabore ma réflexion.

L’« être ensemble » est une nécessité pour devenir un[2] (Daniel Stern – 1989). Cette quête d’« être » nous pousse à obtenir d’autrui des signes de reconnaissance qui nous permettent encore et encore de vérifier notre continuité et notre permanence. Même ceux qui ont eu au cours de leur enfance assez de reconnaissance, ont régulièrement besoin d’en recevoir.

Dans le cas présent je m’intéresse à une autre forme de reconnaissance. C’est avec la pensée de Paul Ricœur[3] que j’ai nourri ma réflexion. L’analyse transactionnelle parle des signes de reconnaissance comme nourriture affective[4] (B. Cyrulnik 2000, C. Steiner 1997) mais peu de la reconnaissance comme facteur de réunification[5] (Cyrulnik, 1995). Parce que nous avons affaire à des personnes qui ont déjà un certain vécu, nous sommes amenés à engager un travail à rebours de déliaison et de reliaison des plans de vie afin de leur permettre de se réparer, se restituer un équilibre et un sens. Les conditions de réussite nous invitent à fournir des soins[6] (Peter Fonagy – 2004) dans des relations[7] (Bowlby, 1978, 1984, Cyrulnik, 1989) en contact suffisamment sécures et prévisibles afin que la personne en souffrance puisse décider d’y entrer et d’y réparer ses blessures.

En cabinet nous retrouvons souvent des personnes qui ont été, dans leur enfance, victime de négligences répétées ou d’agressions traumatiques intenses. En intégrant mes connaissances sur les traumatismes[8] (S. Boon, K. Steels, O. Van Der Hart, 2014, P. Ogden, K. Minton, C. Pain, 2015), les traitements[9] (J. Smith, 2016), la Psychothérapie Intégrative d’Erskine (Keyhole[10]) et le circuit du scénario[11] (Erskine, Zalcman, 1979), je propose une démarche de déliaison et reliaison à l’aide du système de croyance schématisé ci-après avec laquelle j’explore avec le client son système scénarique.

Entrer avec le client dans son système, déjouer les stratagèmes et ouvrir un nouvel espoir d’équilibre stable, voilà le sens de ma démarche.

*Le schéma complet en étoile présenté au congrès 2018 fera l’objet d’un article.

[1] Paul Ricoeur, Parcours de reconnaissance, Stock, 2004, p.11

[2] Daniel N. Stern, Le monde interpersonnel du nourrisson, Puf, 1989

[3] Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Stock, 2000

[4] Boris Cyrulnik, Les nourritures affectives, Odile Jacob, 2000, C. Steiner P. Perry, L’A.B.C. des émotions, InterEditions, 1998

[5] Boris Cyrulnik, La naissance du sens, Pluriel, 1995 Je comprends ici le terme de réunification, la réunification du soi et des éléments dissociés, clivés etc.

[6] Peter Fonagy, Théorie de l’attachement et psychanalyse, Erès, 2004

[7] John Bowlby, Attachement et perte, trois tomes, 1978, 1984, Boris Cyrulnik, Sous le signe du lien, Pluriel, 1989

[8] S. Boon, K. Steele, O. Van Der Hart, Gérer la dissociation d’origine traumatique, De Boeck, 2014 – P. Ogden, K. Minton, C. Pain, Le trauma et le corps, De boeck, 2015

[9] J. Smith, Psychothérapie de la dissociation et du trauma, Dunod, 2016

[10] R. G. Erskine, J. P. Moursund, R. Trautmann, Beyond Empathy, Routledge, 1999

[11] R. Erskine, M. Zalcman, Le circuit du sentiment-parasite, un modèle d’analyse, T n°12, 1979, pp. 148-161

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Un parcours de reconnaissance pour un nouvel espoir

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