Auteurs : Giliar Fabian – CTA Conseil / Bette Geoffrey
Selon Erving Goffman dans son ouvrage « Stigmate », tout membre d’une société est doté d’une identité sociale et tout individu quirencontre un autre va le catégoriser. Lorsque l’on rencontre un inconnu, cette classification se fait sur la première impression, en ne connaissant que ce que cette personne laisse voir. Cela explique l’existence de deux identités sociales, l’une réelle et l’autre virtuelle.
Une personne qui dispose d’un attribut qui la rend différente de la catégorie dans laquelle on voudrait la classer s’appelle en sociologie un « stigmatisé ».
Cela peut porter sur le handicap, les convictions philosophiques, religieuses, ou politiques, l’orientation sexuelle, l’âge, la fortune, l’origine sociale, l’état civil, l’état de santé, les caractéristiques physiques, certains comportements ou traits de personnalités, etc.
La relation entre les « normaux » et les personnes stigmatisées peut créer un malaise et engendrer un ensemble de stratégies pour chacun des protagonistes.
A travers leurs processus relationnels, il existe des pratiques de discrimination telles que l’exclusion, la moquerie, le fait d’être nié dans son aspect singulier, la violence, le harcèlement… L’intensité de ces expériences, la répétition de ces évènements, le fait de vivre ces expériences très jeune sont en corrélation avec la profondeur ressentie de la honte et du mépris de la personne elle-même. Elle se met d’ailleurs à ressentir de la honte en l’absence de groupe de référence dans lequel la personne discriminée pourrait s’inscrire.
Nous apprenons à nous ouvrir à la société en évoluant dans des groupes qui s’élargissent au fur et à mesure de notre évolution. Le premier groupe social dans lequel évoluent nos clients est la famille, ensuite viennent la scolarité et les activités extrascolaires, les groupes de pairs et puis vient l’âge où nous entrons dans la vie active. Il est évident que plus tôt nous vivons de la discrimination et plus celle-ci renforcera notre système scénarique.
Pour maintenir un pseudo lien ou s’extirper du lien avec les « normaux », la personne va développer des stratégies telles que contrôler l’information sur son identité sociale quand son stigmate est non visible, compenser, s’isoler ou ne vivre qu’avec ses pairs portant le même stigmate quand le stigmate est visible.
Au niveau intrapsychique, la personne introjecte « comme étant normal le fait qu’on dise que la partie qu’elle veut exprimer doit être cachée » et développe un sentiment parasite de honte quant à un aspect de son identité sociale. La personne ne peut donc être entièrement elle-même face aux autres pour se préserver d’expériences désagréables.
Richard Erskine (1) définit la honte comme un processus complexe qui comporte :
- Une représentation diminuée de soi et de sa valeur, par soumission aux humiliations externes et/ou aux critiques introjectées.
- Une tristesse et une peur issues d’expériences passées, qui plus tard sont transposées sur des figures du présent. La tristesse porte sur le fait de ne pas être reconnu pour qui on est, avec ses besoins et ses désirs. La peur est d’être rejetée du simple fait qu’on est soi.
- Le désaveu de la colère qui maintient une illusion de lien avec la personne dont proviennent les transactions humiliantes, entraînant la méconnaissance du besoin d’être pris au sérieux, d’être traité avec respect et d’avoir un impact sur l’autre.
Il ajoute que la honte est l’expression d’un espoir inconscient que l’autre personne prenne la responsabilité de remédier à la rupture survenue dans la relation.
L’espoir pour une personne qui porte la honte en soi, c’est le désir qu’à chaque rencontre elle soit acceptée pour qui elle est… C’est avec cette attente là qu’elle arrive chez le professionnel et nous trouvons essentiel de se poser la question « comment se positionner face à l’espoir de ce public ? »
Tout d’abord cela peut nous questionner sur le processus de groupe. Par exemple, comment faire face à une classe où un élève est le bouc émissaire des autres élèves parce qu’il bégaie, est obèse, est efféminé, parce qu’il est noir de peau, … ?
Comment développer une cohésion de groupe dans une équipe quand le personnel refuse de travailler avec un collègue parce qu’il est handicapé physique, ou lorsque des collègues masculins dénigrent leur seul collègue féminin, … ?
Au regard de l’Analyse Transactionnelle, quels seraient les jeux psychologiques entre ces protagonistes ? Quels types de transactions s’échangent-ils entre eux ? Au regard de la théorie organisationnelle de Berne, que se passe-t-il au niveau des différentes frontières ? Quels signes de reconnaissances sont en jeu dans ces échanges ? Dans quelle position de vie chacun se place dans ce processus ?
Et puis individuellement, comment redonner à la personne toute sa valeur, toute son humanité, quand, suite à ces expériences de honte, elle a perdu son estime de soi ?
Comment développer avec elle une relation ok-ok et l’amener à nommer le secret, la reconnecter à la fierté liée à son unicité ?
Il n’y a pas de réponse universelle. Chaque professionnel développe la relation avec son style et utilise tel ou tel outil pour la développer. Travailler avec ces personnes nous questionne sur notre humanité, sur nos propres stéréotypes, et nos manières d’être en relation…
(1) Les orientations récentes de l’Analyse transactionnelle, José Grégoire, Editions AT, page 47.